jesuislà#

Publié le par martine chiorino

jesuislà#

TRIBUNE
Collectif


Le manque de modération sur la plate-forme Facebook,s’est aggravé au moment même où celle-ci aurait dû redoubler d’efforts pour lutter contre la haine en ligne regrettent, dans une tribune au « Monde », sept responsables associatifs.

Voici leur texte.


Depuis le début de la crise du Covid-19, les messages de haine explosent sur les réseaux sociaux. Selon le baromètre de la haine en ligne mis en place par la société Netino, ils ont augmenté de façon significative au premier trimestre 2020 et représentent 14 % des messages. Dans la même période, le nombre de commentaires de toutes natures, sur Facebook, a quasiment doublé.
Ce double phénomène dépasse largement le seul cadre national. Cette haine est le fait d’individus, mais aussi de groupes organisés, présents et actifs depuis longtemps sur les réseaux sociaux. Ils voient dans cette crise l’occasion ultime de faire passer leurs messages voire leur idéologie. La viralité de ces messages est d’autant plus forte et leurs conséquences plus inquiétantes que le contexte de confinement a significativement augmenté le nombre d’heures passées devant les écrans, notamment sur les réseaux sociaux.
Face à cela, nous, militants ou représentants d’associations, participants à diverses initiatives de civisme en ligne, présents « sur le terrain » au quotidien, faisons tous un constat désolant : les plates-formes manquent à leur devoir de modération. Et Facebook, la plus large d’entre elles, en est un exemple particulièrement frappant.
Certes, nous notons la volonté affichée de Facebook de soutenir la société civile et de lutter contre la désinformation et les théories du complot liées au Covid-19, également en recrudescence. De plus, la création annoncée par le réseau social d’une « cour suprême », chargée de trancher certains cas de manière indépendante, constitue un effort que nous saluons.
Recours aux algorithmes
Cependant, le manque de modération sur la plate-forme, déjà problématique avant la crise, s’est aggravé au moment où, justement, il aurait été souhaitable que Facebook redouble d’efforts en la matière. Cela est d’autant plus alarmant que le Wall Street Journal a récemment révélé que le réseau social avait obtenu la preuve, après avoir mené des recherches en interne, que son algorithme contribuait à la prolifération de contenus extrêmes, sans que cela ne le pousse à opérer de changement fondamental.
De plus, les dispositions de la loi contre la haine en ligne devraient entrer en vigueur à partir du mois de juillet, et nous ne voyons pas comment Facebook compte les respecter, notamment en matière de retrait des contenus.
Nous recevons désormais à chaque signalement de contenus violant de manière évidente les « standards de la communauté » de Facebook une réponse indiquant que le réseau social est aussi affecté par la crise du Covid-19 ; et que, en raison d’un effectif de modération réduit, le signalement en question n’aura pas la priorité.
Les représentants du réseau social assurent que la modération ne peut se faire de manière satisfaisante en télétravail. Ils affirment par ailleurs compenser le manque de moyens humains en misant sur leurs algorithmes.
Des actions qui s’envolent
Alors que nous ne cessons de signaler les commentaires haineux de notre côté, même en temps de confinement, et que nombre d’experts s’accordent à dire que les algorithmes peuvent compléter mais non remplacer le discernement humain, ce sont des réponses dont il est difficile de se contenter. Lire entre les lignes, comprendre l’intention et prendre en considération le contexte sont autant d’impératifs humains pour une modération menée à bien.
Lire aussi Mark Zuckerberg défend la liberté d’expression et se fait critiquer pour son double discours
Voici, tels quels, quelques exemples de commentaires haineux voire même illégaux que nous avons signalés avant et pendant la crise : « Cette petite triso autiste commence à chauffer le climat de mes nerfs » ; « Encore une mal baisée » ; « Qu’est-ce qu’elle a la moukhere, tes gosses sont en prison ? Quelle surprise. » ; « Retour au bled salope » ; « ou alors vous cherchez une bonne tournante » (en réponse au commentaire d’une internaute) ; « Weinstein, Epstein, Polanski, Woody Alen, DSK, Polac, Haziza, Bruel………..Une cohen-cidence ? » ; « Ce soir sur la 2 une émission spéciale “enculés ou pédales” comme on veut, putain mais dans quel monde sommes-nous ?… » ; « il n’y a que des Suédois pourquoi ne pas envoyer la légion et tir à balles réelles » [sic] (au sujet des passants dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris, pendant le confinement).
Facebook n’a pas supprimé ces commentaires, soit parce qu’il n’a « pas pu donner la priorité » à cette tâche, soit parce qu’il a jugé qu’ils n’allaient pas « à l’encontre des standards de la communauté ». Et les commentaires comme ceux-ci se comptent par dizaines de milliers. Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent à Facebook.
Tandis que l’économie mondiale plonge, le réseau social a annoncé fin avril une augmentation de son chiffre d’affaires mondial de 18 %. Ses actions se sont envolées de près de 7 %. Par ailleurs, Facebook vient de lancer son système de visioconférence Rooms, pour concurrencer Zoom, et a investi plusieurs milliards de dollars dans le principal opérateur 4G indien.
Discours extrémistes
La directrice des opérations de Facebook, Sheryl Sandberg, expliquait début avril qu’un recrutement massif de 10 000 employés supplémentaires était prévu en 2020. Malheureusement, il n’est nulle part question d’augmenter le nombre de modérateurs, une mesure qui parait pourtant indispensable pour répondre à la crise.
Nous, acteurs associatifs luttant contre la haine en ligne, faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour la résorber. Mais malgré toute la bonne volonté du monde, nous ne pouvons œuvrer sans l’appui de la plate-forme. Nous ne pouvons, par la seule force des discours modérés que nous opposons aux discours extrémistes, contenir la haine et la violence dont le volume est extrêmement préoccupant.
Un vrai travail de modération doit être mené, pour répondre au travail de signalement que de nombreux utilisateurs du réseau effectuent de façon quotidienne et bénévole, et pour rendre ainsi moins visible la haine en ligne.
C’est pourquoi nous demandons à Facebook de prendre ses responsabilités et de faire de la modération une priorité. Dans le contexte actuel où chacun participe à l’effort général, il est impératif d’investir massivement dans la modération humaine, sans quoi la sécurité pour les utilisateurs et utilisatrices de Facebook restera un vœu pieux.
Liste des signataires : Karim Amellal, délégué général de Civic Fab ; Dominique Barnon, membre du collectif Sleeping Giants France ; Shani Benoualid, cocréatrice de l’initiative #jesuislà (contre la haine en ligne) ; Xavier Brandao, cocréateur de l’initiative #jesuislà ; Terrence Katchadourian, secrétaire général de Stop homophobie ; Tristan Mendès France, responsable du projet Stop hate money (visant à limiter les finances des promoteurs de haine en ligne) ; Anne-Sophie Sebban-Bécache, directrice de l’American Jewish Committee (AJC) Paris.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article